LE MONDE DES LIVRES, Florence Noiville, vendredi 29 mars 2013


« Vif-argent » et « Grande musique sur piano cassé »

« Ne pensez pas que je suis particulièrement forte, dit Edna O’Brien. Les choses peuvent me blesser. Mais elles ne m’arrêtent pas. Elles servent même parfois de moteur. Comme lorsque dans cette clinique, il y a quelques années, on lui a dit qu’elle se portait à merveille, sauf pour l’audition. Pour l’audition, vous êtes un piano cassé. Le mot lui a trotté dans la tête. Piano cassé ou pas, je me sentais bien vivante, écrit-elle. Ce jour-là, elle rentra chez elle, fit du pain et, à 78 ans, commença la rédaction de Fille de la campagne. Une partition très juste alternant les graves et les aigus, les extrémités de la joie, comme celles du chagrin.
À l’acte I, on plonge dans les années de formation. Celles d’une fille solitaire et libre, née au fin fond de l’Irlande dans une famille qui n’était plus riche et que l’on voit se frayer un chemin vers les cercles littéraires dublinois puis londoniens.
À l’acte II, cette femme belle et effrayante, tendre et sauvage est devenue un écrivain internationalement célèbre. Les mémoires alors fourmillent d’anecdotes savoureuses. On y croise Paul McCartney jouant de la guitare pour endormir un fils d’Edna, Robert Mitchum qui passe avec elle une nuit mémorable ou John Huston qui la fait venir au Mexique pour encenser puis refuser l’un de ses scénarios. Ces hauts et ces bas, l’écrivain nous les livre sans fard, avec sensibilité, auto-ironie et toute la distance dont on peut faire montre à son âge. Aucune nostalgie. Une rage de vivre, d’écrire, de jouer encore. Parce que, piano cassé ou pas, la grande romancière irlandaise garde, pour l’écriture, une oreille absolue. »