LE MONDE, Fabrice Gabriel, vendredi 26 avril 2024


C’est un drôle d’oiseau qui donne son titre au beau premier roman de Yasmina Liassine, L’Oiseau des Français. En l’occurrence, ce volatile est une dinde, dont l’un des personnages du livre, une Algérienne volubile qui en hérite au départ d’une – famille française, au moment de l’indépendance, se demande s’il ne serait pas « illicite ».

Vérification faite, le Prophète n’a rien contre les dindes… mais l’anecdote signale, avec une certaine cocasserie, la fantaisie spéciale d’un récit formidable, tout en nuances et subtilités malicieuses: Yasmina Liassine, elle-même enfant d’un « couple mixte » des années 1960, raconte les histoires plurielles d’un pays dont elle montre qu’il n’est pas réductible aux simplifications historiques, aux confrontations binaires un peu bêtes.

Cette Algérie complexe, rêvée par certains comme une « Sancta Algeria », elle l’a quittée en 1984 afin de poursuivre à Paris de brillantes études de mathématiques, et elle essaye aujourd’hui d’en dire la vérité sensible, multiple, dans une prose parfaite, sans effets inutiles. Filant joliment la métaphore du labyrinthe, elle nous guide ainsi dans un parcours où l’on croise beaucoup de personnages de femmes, héroïnes tragiques ou plus discrètes : celles-ci finissent par donner au livre, en dépit de ses tristesses, une note d’espoir qui passe aussi, comme en cuisine, par le partage heureux des saveurs et des sensations.

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