L’EXPRESS, Marianne Payot, mercredi 21 août 2019


« Darrieussecq et Dalembert : Et voguent les galères »

« Avec La Mer à l’envers et Mur Méditerranée, les deux romanciers s’attaquent au sujet brûlant des migrants. Loin de tout misérabilisme…

[…] Quand, dans Mur Méditerranée, Dalembert relate l’épopée dantesque sur terre et sur mer de trois migrantes africaines vers la liberté, Darrieussecq prend le relais avec La Mer à l’envers et sa psychologue confrontée à un jeune Nigérian, lui aussi rescapé d’un naufrage, cherchant son salut du côté de Calais. Tous deux traitent de violence, d’héroïsme et de lâcheté. Sans fard ni mièvrerie.
[…] M. P. – Avez-vous effectué de nombreuses recherches ?
L.-P. D. – J’ai séjourné un mois à Lampedusa, en janvier 2018. Comme je parle couramment italien, j’ai pu discuter avec des associations et avec le curé, don Carmelo La Magra, qui milite pour les migrants. Ils m’ont raconté des histoires que j’ai intégrées en partie, comme celle de ces femmes syriennes qui ne veulent pas monter dans le même bus que les Africains. J’ai aussi rencontré des Tunisiens, des Érythréens, et l’actuel maire de Lampedusa, Toto Martello, un ancien pêcheur, fort en gueule, lui aussi favorable à l’accueil. À partir de ce travail de terrain, j’ai écrit durant un an. […] Moi non plus je ne savais que faire de toutes les informations recueillies. J’avais juste le titre en tête Lampedusa Blues, mais je me suis rendu compte qu’il y avait déjà beaucoup de choses sur Lampedusa, la pièce de théâtre de Lina Prosa, Lampedusa Beach, entre autres… […] Et j’ai fini par tomber dans Les Bateaux ivres, de Jean-Paul Mari, sur un passage consacré au sauvetage, en juillet 2014, par le tanker danois Torm Lotte, d’un chalutier avec plus de 800 personnes à son bord. J’ai décidé d’en faire l’acmé de mon roman. Ce bateau représente Moïse et la planète Terre mais aussi la lutte des classes : les plus riches sur le pont, les autres parqués dans la cale. Malgré moi, je porte la mémoire de l’esclavage, je me suis toujours préoccupé de ces gens qui voyagent dans la cale. […]
M. P. – Vos romans peuvent-ils faire bouger les choses ?

L.-P. D. – L’écrivain est dans le monde, il écoute, observe, digère. J’ai toujours eu une conscience politique très aigüe, je suis né et j’ai grandi sous une dictature… Je pense que, si un livre arrive à parler à une personne, c’est déjà beaucoup. […] »