L’OBS, Didier Jacob, jeudi 12 septembre 2019


« Le choix de L’Obs : L’enfance volée »

« […] Pourquoi la doyenne du roman irlandais s’est-elle lancée, à 88 ans, dans l’incroyable aventure de ce livre coup de poing, puissant requiem pour une enfance assassinée ? N’est-ce pas que le destin de l’une de ces filles enlevées, la jeune Maryam, lui rappelait, par certains aspects, ses premières années dans le comté de Clare, et son éducation par les sœurs de la charité ? Une jeunesse pieuse dont elle a toujours dit qu’elle avait été « suffocante », dans un milieu replié sur lui-même, hostile au progrès et à la nouveauté. Pour Edna O’Brien, qui gagna chèrement ses galons de féministe dans une Irlande arriérée, l’histoire des écolières martyres du Nigeria ne pouvait que faire écho à sa propre colère. Mais si le réalisme obsédant de son style fait merveille dans la description des campements djihadistes comme autrefois dans celle des villes irlandaises, Girl emprunte aussi aux grands récits mythiques de l’Antiquité, où le héros semble devoir affronter, seul, tous les dieux ligués contre lui. Sa « madone noire », héroïne au courage hors norme, est transférée dans la « Maison bleue », où les extrémistes musulmans vont, en bande, se repaître de chair fraîche. Enceinte, elle accouche d’une petite fille, Babby, qui lui donne la force de ne pas mourir. Maryam réussit à prendre la fuite, sort miraculeusement indemne de sa traversée de la jungle, retrouve sa famille. Mais les filles enlevées ne sont, à leur retour, pas les bienvenues. Considérée comme souillée, Maryam est accueillie, lors d’une cérémonie grotesque, par le président du Nigeria. Comment vivre après ? C’est la question que pose Edna O’Brien dans ce livre admirable, le dernier peut-être d’une romancière irlandaise passionnément éprise de justice et de liberté. »