TÉLÉRAMA, Marine Landrot, mercredi 14 septembre 2022


Tressée de coq à l’âne et d’associations d’idées, l’autobiographie de l’acteur à l’irréductible complexe d’imposture lui ressemble : humble et captivante.

Il est rare que les ouvrages édités par Sabine Wespieser portent une jaquette, qui plus est imprimée d’une photo d’acteur célèbre vous regardant droit dans les yeux. Une exception d’éditrice face à un texte d’exception.
Les autobiographies de cet acabit, expertes en tomber de masque et lancer d’anecdotes, portées par une si haute qualité littéraire, ne se laissent pas filer. On savait Gabriel Byrne hypnotique quand il supplie Merlin de lui donner son épée dans Excalibur (1981), ou reprend son chef de gang sur sa prononciation française de l’expression « joie de vivre » dans Miller’s Crossing (1990). Voilà qu’il se révèle tout aussi formidable narrateur de sa propre vie, avec un livre à son image : humble et captivant.
Un sex-symbol, lui ? Avec son « nez trois fois cassé », son « visage rouge tomate sillonné de petites veines » et ses yeux « à mi-chemin entre le chien battu et le lendemain de cuite » ? Que les journalistes de cinéma ouvrent les yeux, tout comme l’admiratrice qui s’installa pendant des jours sur un muret devant chez lui pour lui tricoter un pull irlandais en direct. Il y a erreur sur la personne. « Je suis introverti de nature. Pendant longtemps j’en ai eu honte. Comme si c’était une sorte de défaillance morale. Je ne me sentais à ma place nulle part », confesse la star, qui signe au passage les plus belles pages qu’on ait lues sur l’alcoolisme depuis Au-dessous du volcan. Le piège s’ouvrit avec des saouleries d’enfant de chœur au vin de messe, dans l’Irlande des années 1950. Il lui servit de lien avec Richard Burton, au cours d’une nuit d’ivresse, sur la terrasse d’une chambre d’hôtel où fut proférée une vérité vérifiée par la suite : « La célébrité ne vous change pas, a observé Burton, elle change les autres. C’est un doux poison qu’on boit d’abord à grandes goulées. Ensuite on finit par l’avoir en horreur. » 
Son complexe d’imposture noué serré au fond de l’estomac, Gabriel Byrne remonte aux origines, comme tout bon explorateur de soi-même.
Dans le labyrinthe de sa spéléologie intime s’ouvrent de nombreux passages entre l’enfance et l’âge adulte, qu’il emprunte à l’instinct, sans ordre chronologique dans l’évocation des souvenirs, par un subtil jeu de coq-à-l’âne et d’associations d’idées. Parfois les témoins de son existence prennent soudain la parole au style direct, à la manière d’un documentaire au montage savant. Le voilà bébé, puis plombier, puis premier communiant, puis homme blessé cherchant à extraire sa sœur des griffes de la psychiatrie dévastatrice, puis petit garçon victime d’abus sexuel par un prêtre, puis dans le ventre de sa mère visitée par un ange sous la neige, puis acteur tenaillé par le trac… À la fois fluide et tumultueux, féerique et infernal, le tourbillon de sa vie fait tourner les pages à folle vitesse. En surplomb : le calme, la maturité.