« The Quiet Girl », L’OBS, Jérôme Garcin, jeudi 13 avril 2023


Si vous allez voir « The Quiet Girl », et dites-moi que vous irez, jamais vous n’oublierez la petite Catherine Clinch. À 11 ans, elle est capable, face caméra, d’exprimer la détresse sans larmes et le bonheur sans rires. C’est une petite fille grave, d’une impressionnante dignité, qui paraît déjà maîtriser son destin. Dans le premier film de fiction du documentariste irlandais Colm Bairéad, tourné en gaélique et tiré du bref roman de Claire Keegan, « les Trois Lumières » (Sabine Wespieser, 14,20 euros), Catherine Clinch est Cáit. Négligée, voire maltraitée, par des parents démunis, elle est envoyée à la campagne, dans une ferme du Wexford, qu’habite, au début des années 1980, un couple de cousins éloignés et sans enfant. Coupée de son milieu, où on la surnomme « la vagabonde », Cáit découvre alors, bouche cousue, une maison qui sent le propre, une nature d’une beauté frissonnante, une vie quotidienne d’un velouté de pétale. Et surtout une nouvelle mère (magnifique Carrie Crowley), qui l’habille de neuf, la nourrit avec générosité, la coiffe, la borde dans son lit avec des gestes d’une tendresse inédite à laquelle son mari taiseux (Andrew Bennett) ajoutera bientôt sa part de bienveillance. (Le couple dissimule un secret, que Cáit finira par partager et dont elle le soulagera.) Une fois l’été passé, pendant lequel la fillette a appris à tirer l’eau du puits, allaiter les veaux, aider au potager, préparer une tarte, courir prendre le courrier au bout de l’allée, écouter le silence, elle doit retourner dans sa vraie famille, retrouver la brutalité d’un père alcoolique et volage, l’épuisement d’une mère toujours enceinte, des frères et sœurs comme abandonnés. Elle doit surtout dire adieu à cette femme et cet homme, qui l’ont épanouie, sauvée, adoptée, et qu’elle aime désormais d’un amour débordant. À la dernière scène, bouleversante, même les spectateurs les plus insensibles auront les yeux mouillés. Je sais, sur le papier, le résumé frôle le mélo. À l’écran, c’est une splendeur. Une splendeur simple. On en oublierait presque la caméra de Colm Bairéad. Comme si chaque plan était filmé par le seul regard de cette fillette qu’éblouissent les paysages irlandais bercés par le vent. Comme si, à 11 ans, enfin elle venait au monde. Pas étonnant que, de festival en festival et de Berlin à Taipei, « The Quiet Girl » collectionne les prix et qu’il ait représenté l’Irlande aux Oscars. Il y aune justice. Elle a un visage. Celui, pur et noble, d’une enfant, Catherine Clinch.

J.G.