DNA, Veneranda Paladino, samedi 13 septembre 2014


« Havre d’intranquillité »

« Scandée par une voix expirante, la fresque littéraire de Yanick Lahens fait gronder le chœur immémorial des paysans d’Haïti. D’un prosodie aussi envoûtante que le vaudou, Bain de lune mêle le chant de la beauté et les cris du désespoir.
C’est un monde où l’on est chevauché par les dieux de songes, d’humeurs, de couleurs et de mots. Dans ce village haïtien d’Anse Bleue, la terre et les eaux se confondent. Le vent, le sel et la mer submergent autant que la violence du désir, l’opportunisme politique. […]
Quand le ciel a enfin tourné en un gris de plus en plus clair, la voix de la jeune fille échouée sur la grève fait refluer le temps d’avant. D’un phrasé puissant, incarné, elle refigure toute la chaîne de son existence pour comprendre une fois pour toutes… Remet au monde un à un ses aïeuls et aïeules. […] Trois générations l’ont précédée et ont scellé son destin tragique. […]
Peu d’écrivains haïtiens ont quitté l’enfer des villes pour réincarner la tragédie de la paysannerie. Beaucoup ont évoqué l’errance, l’exil. Avec l’intelligence sensible qu’on lui connaît, Yanick Lahens mesure la distance sociale en Haïti qui est une distance culturelle. Si les ouragans politiques déferlent avec retardement sur Anse Bleue, ses habitants en savent assez sur l’humaine condition pour parler aux seuls Esprits, aux Mystères et aux Invisibles. La voix de la naufragée s’amplifie, se confond avec celle du chœur immémorial des paysans. Tel un chant, l’écriture de Yanick Lahens invoque les divinités vaudous, transporte des visions hallucinantes. Et nous projette dans un bain de lune éblouissant. »