LA VIE, Marie Chaudey, entretien avec Pierre-Emmanuel Dauzat, jeudi 6 mai 2021


« Pour traduire, il faut devenir un autre »

« Auteur d’une dizaine d’essais et traducteur de plus de 300 titres, Pierre-Emmanuel Dauzat se saisit de la polémique autour de la poétesse Amanda Gorman pour cerner les enjeux actuels de sa discipline.

Loin des contingences du petit monde intellectuel parisien, il vit sur l’une des sept collines de Nîmes, retranché sur son Aventin. Pierre-Emmanuel Dauzat, l’un des plus grands traducteurs contemporains, est un solitaire magnifiquement entouré de 50 000 livres, qui dort peu, lit et écrit comme un forçat, les yeux abîmés par l’étude à l’ancienne et rédimés par la médecine de pointe.
Accompagné dans ses travaux érudits par son épouse Aude de Saint-Loup, il fréquente comme il respire les auteurs grecs et latins, la Bible et les Pères de l’Église, Shakespeare et Leibnitz, James Joyce ou Roger Caillois. Sur les kilomètres d’étagères, des ouvrages dans une quinzaine de langues que Pierre-Emmanuel Dauzat ne parle pas, mais fait vivre dans les pages de ses traductions. C’est la singularité de ce savant, qui ne manie pas les langues étrangères à l’oral tel l’habituel polyglotte, mais les apprivoise et les cerne à l’écrit par un travail acharné. Dauzat a ainsi traduit des œuvres du slovène, de l’ourdou ou de l’indonésien. L’hébreu biblique est devenu au fil des années sa langue maternelle, couplée à son élan vers le judaïsme. C’est grâce à son inlassable médiation – près de 400 ouvrages traduits – que les lecteurs français ont lu les historiens Ian Kershaw ou Yuval Noah Harari, la romancière irlandaise Edna O’Brien ou le puits de science George Steiner, devenu son ami proche. »