LE MATRICULE DES ANGES, Dominique Aussenac, mars 2014


« Chants lointains »

« Le paradis perdu de l’enfance hante le quatrième roman de Kéthévane Davrichewy. D’une très délicate sobriété.

Ah, la famille ! Ses âges d’or, ses fastes, ses déchirements, ses secrets, ses jalousies, ses recompositions… Et plus que jamais ses croisés et ses pourfendeurs. […] Quatre murs surprend par sa dimension théâtrale, l’extrême intensité du dit et du non-dit, sa très grande musicalité.

Tintements, clapotis impressionnistes, polyphonie éclatée, chœurs intimistes susurrés, phrases courtes et incisives, tirades, répliques-ping-pong, silences, introspections… Une construction en trois actes. Un prologue qui voit toute une famille réunie une première fois depuis la mort du père. Ce sera la dernière dans la maison d’enfance mise en vente. La mère, les aînés Saul et Hélène, les jumeaux, Réna la fille, Élias le garçon. Il est question d’héritage ; premières et vives escarmouches. […] Ensuite chacun viendra sur le devant de la scène, comme s’il parlait tantôt à un psy ou à un public, expliquer sa situation, sa version des faits. Mais aussi comment il a rompu avec les autres, comment il s’est déconstruit et plus ou moins reconstruit. […] Le recoupement de leurs témoignages finit par mettre à nu des zones d’ombres, des secrets. […] Que cache cet accident qui hante la famille ? […] Quelles sont les parts de responsabilité de chacun ? Dans la cabane du jardin, l’enfance était fusionnelle. Et puis est arrivée l’adolescence, le désir. […] Qu’ont vécu les jumeaux ? Pourquoi est-ce si dur de passer à la vie d’adulte ? De devoir refaire une autre vie ? Toutes ces questions sont traitées avec une extrême pudeur, énormément de délicatesse. Carambolage de mots, de sentiments, de souvenirs d’actes manqués ou trop réussis. Lémotion sourd telle une laitance sensuelle et mélancolique.

La mère décide d’inviter tout son monde sur l’île grecque de l’aîné. Vont-ils se déchirer ? Vont-ils se pardonner ? Vont-ils retrouver la fusion des origines ? Inventer autre chose ? La fin elliptique et cinématographique nous les laisse entrevoir dansant dans un restaurant grec, un peu comme dans un film de Theo Angelopoulos. »