LE MONDE DES LIVRES, Macha Séry, vendredi 8 février 2013


« Rencontre : Ni résignée ni vaincue »

« Il aura fallu presque une décennie à Michèle Lesbre pour accoucher d’Écoute la pluie. Non que l’écriture du roman ait été douloureuse. Mais impossible jusque-là de parler, même à ses proches, de cet octogénaire, ou nonagénaire, qui un jour de décembre 2003, sur un quai de métro, lui avait souri et adressé quelques paroles bienveillantes avant de sauter, d’un pas léger, sur les voies. Elle s’était bornée à lui dédier Le Canapé rouge (2007) : Au petit monsieur de la station Gambetta. Elle vient enfin de lui inventer une vie, y mêlant, comme dans chacun de ses romans, un peu de la sienne. […]
Michèle Lesbre porte ses livres en marchant, en lisant. Sans rien prévoir. Peu à peu, ils se cristallisent. Un jour, elle s’attable à son bureau et se dépêche de les écrire de peur qu’ils ne s’enfuient. Elle les cueille à maturité. Au reste, la romancière a souvent l’impression d’écrire comme elle vit, en évoluant entre plusieurs époques, par surimpression du présent et du passé. Flux er reflux des réminiscences. Dans son œuvre se mêlent échos de l’Histoire, souvenirs intimes, déambulation mentale, divagations dans le temps et errance nocturne. L’autobiographie vagabonde dans la fiction, laquelle favorise le retour sur soi. Aussi ne s’étonne-t-on pas lorsqu’elle affirme mezza voce : J’ai le sentiment de n’écrire qu’un seul livre où je mets ma vie en perspective, depuis mon enfance racontée dans La Petite Trotteuse jusqu’à aujourd’hui.
Aucun narcissisme dans ce mouvement par lequel l’écriture récapitule ce qui a façonné un être. Au contraire : pour la grande dame de la station Gambetta, une vie n’est belle que dans la mesure où toute vie s’y reflète ; le je n’a de sens que s’il est universel. »